La secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, cédera-t-elle aux revendications de l’organisation des
Moudjahidines du peuple iranien (OMPI) ? Sur Internet, notamment à travers les réseaux sociaux et dans la presse anglo-saxonne, les membres de cette organisation de lutte contre le pouvoir iranien se mobilisent tous azimuts.
Dans le moteur de recherche d’actualités de Google, les articles favorables à l’OMPI issus des sites pro-Moudjahidines côtoient ceux des grands titres de la presse américaine et britannique où des personnalités politiques témoignent de leur soutien à l’organisation. Celle-ci bataille depuis des mois pour un objectif : sa suppression de la liste terroriste du département d’Etat. Une décision devrait être rendue publique dans les prochains jours.
En Europe, où l’organisation tente également de rallier ‘opinion, les Moudjahidines multiplient les rendez-vous en présence de personnalités importantes. Fin juillet, à Paris, l’OMPI, dont le siège est à Auvers-sur-Oise, avait invité lors d’une conférence un parterre de personnalités dont Howard Dean, président du Parti Démocrate de 2005 à 2009, et Louis Freeh, ancien directeur du FBI.
A leurs côtés, plusieurs élus, associations et intellectuels français : Jean Dionis du Séjour, député-maire (Nouveau Centre) d’Agen, Yves Bonnet, préfet honoraire et ancien directeur de la DST, Emmanuel Poilane, directeur de France-Libertés, association présidée par Danielle Mitterrand, François Colcombet, magistrat et ancien député PS, Jean-Philippe Maurer, député UMP du Bas-Rhin… Une relative diversité d’étiquettes mise en avant par l’organisation comme preuve de son apolitisme.
ASHRAF, L’ARGUMENT DE POIDS
Tous ont adressé un concert de louanges à la présidente de l’OMPI, Maryam Radjavi, et des témoignages de soutien au camp d’Ashraf, une ville située en Irak, à soixante kilomètres au nord de Bagdad, qui abrite 3 400 membres de l’organisation. A l’origine, Ashraf était un camp militaire. En 1986, Saddam Hussein, allié des Moudjahidines contre l’Iran, le leur a cédé, mais il a été désarmé par les Etats-Unis depuis l’invasion du pays en 2003.
En avril, une opération imputée à l’armée irakienne à Ashraf a fait 34 morts et plus de 300 blessés. Les Moudjahidines accusent le nouveau gouvernement irakien, désormais proche de Téhéran, de chercher à exterminer ses habitants.
Aujourd’hui, c’est bien à travers le sort du camp d’Ashraf que l’organisation cherche à récolter des soutiens. Et la méthode paie puisque l’OMPI peut se targuer d’avoir ccueilli récemment Ingrid Betancourt, Rudolph Giuliani, ancien maire de New-York, Elie Wiesel, prix Nobel de la Paix, James Jones, ex conseiller à la sécurité de Barack Obama, Wesley Clark, ancien général des Forces armées américaines, ou encore José-Maria Aznar, ancien premier ministre espagnol.
DERRIÈRE ASHRAF, LE RETRAIT DE LA LISTE TERRORISTE
Si la résolution de la crise humanitaire d’Ashraf est une priorité pour l’OMPI, elle sert d’argument à une cause plus cruciale pour l’avenir de l’organisation : sa reconnaissance par l’administration américaine. Depuis plusieurs mois, les Moudjahidines tentent de convaincre Washington de la nécessité du retrait de leur organisation de la liste terroriste du département d’Etat.
Outre-Atlantique, l’OMPI, connue sous l’acronyme MeK (Mujahedin e-Khalq), est accusée par le gouvernement américain d’avoir fomenté plusieurs attentats de 1979 à 2001, dont certains ayant visé des ambassades américaines. Pour les défenseurs de l’organisation, son inscription sur la liste terroriste américaine en 1997 était un gage donné par les Etats-Unis à l’Iran dans le cadre d’une politique de rapprochement.
« Nous avons la chance de démontrer que nous sommes désormais du bon côté de la barrière. Il est temps que l’OMPI ne soit plus reconnue comme organisation terroriste par les Etats-Unis « , a répété à Paris l’ancien leader des démocrates américains Howard Dean.
LE TRAVAIL DES LOBBYS
Au Congrès à Washington, l’OMPI peut compter sur la campagne très active des lobbyistes en faveur du retrait, moyennant de gros budgets. La Iranian-American Community of North California, association en soutien à l’OMPI, loue les services d’un puissant cabinet d’avocats, l’Akin Gump Strauss Hauer & Feld LLP, où d’anciens responsables politiques se sont reconvertis en conseillers pour réhabiliter l’OMPI. Comme Victor Fazio, ancien congressiste républicain, ou Hal Shapiro, ex-conseiller du président Clinton.
Selon les registres du cabinet, l’association a versé 100 000 dollars à l’Akin Gump au deuxième trimestre pour ses activités de lobby auprès des institutions américaines. Un autre cabinet, la diGenova & Toensing LLP, a reçu de la part de l’Iranian-American Community of North Texas la même somme, au premier semestre 2011.
En mai, le Wall Street Journal révélait que plusieurs personnalités américaines comme Rudolph Giuliani ou Wesley Clark avaient reçu entre 25 000 et 40 000 dollars pour soutenir publiquement les Moudjahidines. « Je ne veux pas rentrer dans ces considérations. Tout ce qui m’importe, c’est le sort de la population d’Ashraf », a répondu au Monde.fr Howard Dean.
Les soutiens hexagonaux, quant à eux, assurent ne recevoir aucune rétribution. L’OMPI nie également tout paiement. Mais le flou persiste autour du financement de l’organisation. Selon Afchine Alavi, porte-parole de l’OMPI en France, « il s’agit uniquement de dons d’Iraniens en Iran et d’Iraniens de la diaspora ».
« Difficile de croire que de telles activités soient uniquement financées par des dons de particuliers », souligne Karim Pakzad, chercheur sur l’Iran à l’IRIS. « Ce que l’on sait, c’est que les Moudjahidines ont été un réseau de renseignement important sur l’Iran pour les pays occidentaux et Israël. Ils ont un trésor de guerre amassé grâce aux aides de Saddam Hussein, ce qui leur permet d’avoir aujourd’hui une vraie autonomie financière », explique Bernard Hourcade, chercheur sur l’Iran au CNRS.
S’OPPOSER AUX MOLLAHS À TOUT PRIX
Une réhabilitation de l’organisation aux Etats-Unis lui permettrait de devenir une force politique crédible, voire d’apparaître comme l’alternative en cas de chute du régime iranien, l’objectif ultime de l’OMPI. Les nombreux rassemblements sont d’ailleurs l’occasion pour elle de montrer à quel point son organisation est structurée, dotée d’une base militante importante, maîtrisant un argumentaire politique rôdé, et soutenue de toutes parts.
Mais avec quelle base dans la société iranienne ? « Aucune, selon Bernard Hourcade. C’est une force virtuelle qui fascine les Occidentaux mais sans aucune place dans le jeu politique iranien actuel. Leur alliance avec l’ennemi irakien, les Iraniens ne l’ont pas oubliée. Le problème c’est que leur action discrédite les forces démocratiques du pays ».
« Si nous ne représentons vraiment rien, pourquoi le régime iranien s’acharne-t-il contre nous ? « , rétorque Afchine Alavi. Un argument qui trouve écho chez les personnalités politiques occidentales qui voient en un soutien aux Moudjahidines une manière de s’opposer au régime des Mollahs. Et ce, en dépit des critiques formulées par plusieurs chercheurs et les témoignages d’anciens membres de l’OMPI dénonçant un fonctionnement opaque, un culte de la personnalité et des pratiques sectaires.
« A un moment donné, il faut se mouiller. Je reconnais ne pas être en position d’authentifier le fonctionnement de l’organisation mais moi, ce qui me poserait problème, ce serait de ne rien faire sur l’Iran », argue le député Jean Dionis du Séjour.
Nassira El Moaddem
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